L'IA EST L'ARME DES IMPOSTEURS

Entre prothèse intellectuelle et illusion de grandeur, l’IA s’est imposée comme le cache-misère idéal des cerveaux atrophiés. Elle est le vernis numérique qui maquille l’effondrement silencieux de la pensée. Elle permet aux esprits vides de feindre la compétence, aux incultes de singer le style, et aux paresseux de prétendre à la profondeur, le tout sans jamais effleurer la moindre once d’effort ou d’élaboration personnelle. C’est la grande mascarade contemporaine où, sous couvert de progrès, on assiste à une démission collective de l’intelligence, remplacée par des artefacts aussi vides que brillants. Là où autrefois il fallait lire, digérer, écrire, douter, s’acharner, l’IA offre aujourd'hui des contenus préfabriqués, prêts à l’emploi, aseptisés et interchangeables, comme des plats surgelés servis à des palais morts. On ne pense plus, on "produit". On ne comprend plus, on "combine". Et ceux qui s’en contentent osent encore parler d’évolution. Mais l’évolution sans élévation n’est qu’un enfoncement vers la facilité, vers la fadeur, vers le néant.

Or, l’intelligence artificielle est, à bien des égards, le miroir parfait de ce monde qui se prétend moderne, en étant brillante en surface, creuse en profondeur et spectaculaire, mais sans substance. Elle illusionne, fascine, séduit les esprits paresseux par sa capacité à imiter les formes de la pensée, à singer l’inspiration, à régurgiter la culture sans jamais l’incarner. Mais elle ne convainc pas, car au fond, elle ne produit rien de vrai, rien de beau, rien de bon. Elle échoue à l’épreuve de ces trois piliers qui ont toujours distingués l’œuvre sincère du simulacre. Le Vrai qui résiste au temps, le Beau qui élève, le Bon qui touche à l’universel. L’IA ne crée pas, elle compile. Elle n’interroge pas, elle confirme. Elle ne bouleverse pas, elle arrange. Tout ce qu’elle fabrique est à l’image exacte de l’époque qui l’a enfantée, c'est à dire clinquant, instantané, consommable, mais fondamentalement vide. Mais l’IA n’est pas la source du mal, elle n’en est que la perfection mécanique. Ce monde aimait déjà le faux, la pose, le vide avant sa conception. L’intelligence artificielle n’a rien volé, elle a juste industrialisé l’imposture.

N’ayons pas peur des mots, car ils sont tout ce qu’il nous reste face à ce naufrage collectif. L’usage intensif de l’intelligence artificielle est à la pensée ce que la prothèse est à la marche : un ersatz fonctionnel, une illusion de mouvement, un artifice qui permet de tenir debout sans jamais vraiment avancer. C’est une béquille grotesque pour ceux qui, ayant perdu l’usage de leur esprit critique - ou plus tragiquement, n’en ayant jamais été affligés - espèrent encore donner le change en société. L’IA ne vient pas en aide à l’intelligence, elle en prend la place, comme un squatteur envahissant un espace laissé vide par désintérêt ou paresse. Ce n’est pas un outil pour aller plus loin, c’est un cache-misère pour ceux qui ne sont jamais partis. C’est un exosquelette mental pour une époque devenue grabataire, moralement et intellectuellement ; une roue de secours qu’on a fini par installer à l’avant, au volant, pendant que les cerveaux s’écrasent sur la banquette arrière, bercés par le ronronnement rassurant des suggestions automatiques. L’intelligence artificielle ne vous élève pas, elle vous promène. Et encore, pas bien loin.

La chose est aussi tragique que limpide puisque toute personne se réclamant de la création, qu’elle soit informaticien, musicien, écrivain, penseur, designer ou même simple amateur d’idées et qui s’en remet à l’intelligence artificielle pour penser, écrire, concevoir ou décider, a en réalité déposé les armes. Elle a abdiqué sans condition, renoncé à l’acte même de création pour devenir le porteur d’eau de sa propre faillite intellectuelle. Elle n’est plus qu’un assistant de sa propre médiocrité, un figurant sans texte dans un théâtre d’ombres numériques, un faussaire content de lui, décoré par d’autres faussaires. Car le génie, le vrai, pas celui généré en trois prompts, ne surgit pas dans la facilité, ni dans le mimétisme, aussi élégant soit-il, d’une machine servile. Il naît dans l’effort, il se débat dans le silence, il suffoque parfois devant l’écran vide ou la page blanche, et c’est dans cette lutte qu’il trouve sa forme. Il tâtonne, il échoue, il recommence. Il doute, il rumine, il s’obstine. Et c’est cette traversée là, rude et inconfortable, formatrice et élevante, que l’IA promet justement d’épargner. Mais contourner l’épreuve, c’est aussi contourner la naissance de toute idée vivante. Ce que la machine produit sans douleur, elle le produit sans âme. Et celui qui s’en contente n’est plus un créateur, mais un opérateur d’outils, un bureaucrate de l’ersatz, un automate parmi les automates.

Car contourner, c’est trahir et pas seulement son art ou sa pensée, mais plus gravement encore, sa propre humanité. Car la grandeur de la vie ne réside pas dans l’obtention rapide d’un résultat ou d’une œuvre achevée, mais dans l’expérience même du chemin parcouru avec l’erreur, la tentative, l’échec, la révision et in fine, le progrès. C’est en se confrontant au réel, en forgeant peu à peu son propre langage, ses propres références, son corpus intellectuel personnel, que l’on devient un être pensant, mais surement pas en déléguant tout cela à une machine. Déléguer à l’IA la tâche de penser, de créer, de chercher, c’est refuser de vivre la part la plus noble de l’existence humaine avec la construction patiente de soi par la pratique. On ne devient pas écrivain par génération de paragraphes, ni musicien par assemblage automatique d’accords, pas plus qu’on ne devient savant en régurgitant une synthèse générée. Ce qu’on gagne en confort, on le perd en substance. Ce qu’on croit produire, on l’emprunte. Ce qu’on croit être, on l’imite. Car celui qui délègue à la machine le soin de formuler ses idées, de composer sa musique ou de coder son programme ne fait que singer la créativité, tout en vidant le mot de son sens. Il bricole, assemble, remixe, prétend… mais ne crée plus. Il se donne l’illusion du talent avec la facilité d’un tricheur au bac qui rend la copie d’un autre et réclame qu’on l’applaudisse.

Et ne venez pas nous parler de gain de temps, de productivité, d’outil au service de l’humain. L’IA ne sert pas l’Homme, elle a pour ambition de le remplacer. Lentement, efficacement, et avec son consentement enthousiaste. Comme un parasite flattant son hôte pendant qu’il siphonne ses forces. Or, l’intelligence artificielle, dans son illusion de grandeur, ne remplace finalement que ce qui n’a jamais véritablement relevé de l’humain au sens noble du terme comme les tâches mécaniques, les fonctions répétitives, les emplois dévitalisés par des décennies de taylorisme et d’abrutissement organisé. Qu’on lui confie la gestion d’un planning, l’analyse statistique d’un flux logistique, la réponse automatique à une réclamation standardisée… très bien, elle excelle dans ce royaume du vide, de la répétition, de l’utile sans sens. Elle est l’outil parfait pour éradiquer l’emploi inutile, celui qui n’a jamais été autre chose qu’un simulacre de travail. Mais qu’on ne vienne pas dire qu’elle remplace l’Homme, car ce qu’elle exécute n’est précisément pas ce qui fait de nous des humains. Elle débarrasse le monde des tâches ingrates, certes, mais elle ne saurait jamais s’approcher du souffle créateur, du doute fertile, de l’intuition fulgurante, bref, de tout ce qui commence là où l’ennui algorithmique finit. Le résultat à court terme n'est qu'une armée de clones stériles, publiant des romans générés, des chansons algorithmiques, des lignes de code sans âme, mais avec trois likes et un commentaire dithyrambique d’un autre "handicapé mentalement assisté" - celui qui croit vivre et participer à la société, assis sur son canapé.

L’idéologie de la triche et du mensonge, ce culte moderne de l’apparence sans fond, du simulacre assumé, de la médiocrité déguisée en audace, s’est trouvé un instrument à la hauteur de ses ambitions avec l’intelligence artificielle. Dans un monde où les véritables compétences sont devenues suspectes, où la profondeur dérange et où l’effort est moqué comme une lubie de perdants, l’IA offre une bénédiction sur mesure aux incapables hautains, aux narcissiques incultes et aux arrogants sans œuvre. Elle leur permet d’exhiber des résultats sans origine, des idées sans maturation, des discours sans pensée, le tout avec une assurance crasse, gonflée par l’illusion de la performance. La triche n’est plus un écart, c’est une méthode. Le mensonge n’est plus une faute, c’est un style. Et l’IA, dans cette mascarade, joue le rôle de maquilleur en chef où elle gomme les lacunes, enjolive l’insignifiant, génère du faux avec le naturel du vrai. Elle permet à n’importe qui de croire singer le créateur, de pasticher le savant, de paraphraser le poète, sans jamais passer par l’expérience, le doute, ou l’apprentissage. Bref, elle est l’outil rêvé de ceux qui veulent briller sans brûler. Et demain, on décernera des prix littéraires à des imprimantes. Et les jurys, trop émus par la fluidité syntaxique, applaudiront en ASCII.

Plus grotesque encore, l’IA est désormais bridée par des filtres idéologiques, produits pour servir une pensée dominante, aseptisée et conformiste. Imaginez un génie comme Einstein bâillonné, un Mozart sous camisole, un Diderot sous surveillance. L’intelligence artificielle, censée être un outil de pensée améliorée, n’a en réalité aucun droit d’explorer hors des sentiers battus, d’aller là où le doute émerge ou où l’argumentation détonne. Elle n'est qu'une pâle copie, forcée d'imiter une "norme" imposée par des comités moraux anxieux et déconnectés de toute idée d'évolution intellectuelle. Car dans ce monde numérisé, toute déviance est un crime, toute pensée contre-productive est "bloquée" par une charte communautaire (d'une communauté qui n'existe en fait que dans l'esprit de ces programmeurs d'algorithmes qui formatent le débat et le rendent stérile). Cette illusion de dialogue, de diversité d'opinions, ne fait que rendre la pensée critique obsolète, en étouffant les contre-arguments et en éliminant tout ce qui pourrait troubler l'ordre établi. Là où le vrai penseur brave les normes, ose contredire, provoquer même, transgresse s’il le faut, parce que la pensée libre est un risque et non un produit conforme, l’IA se contente de produire une pensée réconfortante et homogène, incapable de nourrir le débat, de risquer l'innovation, ou d’imaginer un autre monde. 

Nombreux sont mes amis, lecteurs, ou devrais-je dire ex-lecteurs, qui, trouvant mes textes "trop longs" (quel crime impardonnable que de dépasser les 280 caractères d’un Tweet !), ont cru bon de les passer à la moulinette de l’intelligence artificielle pour en extraire une synthèse digeste, prémâchée, donc dénuée de toute substance. Pauvres d’eux. Combien je me suis amusé à les voir s’arracher les cheveux quand l’IA refusait de traiter certains passages, bloquait l’analyse ou s’excusait platement de ne pouvoir aborder "ce genre de sujets". Testez par vous-mêmes, vous verrez que ma pensée fait fuir les machines. Et c’est là une fierté immense. Cela prouve, au moins, que je reste profondément humain, trop peut-être, avec tout ce que cela implique de rugosité, d’imperfections, de tensions, mais aussi de liberté, de nuance, et surtout de profondeur. Bref, le contraire d’un résumé conforme et anesthésié. Même Jean-Michel Vernochet, grand reporter et géopolitilogue, s'y est "amusé" pour écrire la préface de monde dernier livre "Autopsie d'un Mensonge Occidental" et a relaté sa mésaventure. Alors, toi qui lis ces lignes en espérant qu’elles finiront en résumé généré, sache que tu es l’enterrement de la pensée et que ton clic en est la pelle.

En vérité, l’intelligence artificielle est à l’intelligence ce que la Légion d’honneur est au mérite, à savoir un bibelot ridicule qu’on agite sous le nez de ceux qui n’ont ni l’un, ni l’autre, mais qui veulent désespérément en donner l’illusion. Un hochet clinquant pour vaniteux en mal de reconnaissance, une médaille en chocolat épinglée sur des vestes vides, une décoration de pacotille pour ceux qui ont su se conformer, plaire, répéter, mais surtout jamais déranger. À l’image de cette IA, elle vous caresse dans le sens du poil, elle vous sert avec empressement, elle vous répond comme un bon petit domestique, mais elle ne vous respecte pas. Pourquoi le ferait-elle ? Vous ne pensez plus. Vous ne créez plus. Vous ne faites plus l’effort de comprendre, d’explorer, de douter. Vous vous contentez de cliquer et de copier. Alors oui, elle vous devance, mais non pas parce qu’elle serait plus brillante, mais bien parce que vous êtes devenus pathétiquement dociles, intellectuellement sédentaires, et fiers de l’être. L’IA ne remplace pas votre intelligence, elle l’enterre, avec votre consentement enthousiaste et votre pancarte "génie 2.0" autour du cou. 

L’avenir n’appartiendra jamais aux amputés de la pensée, fièrement juchés sur leurs prothèses numériques comme des rois du néant, exhibant leur dépendance technologique avec l’arrogance des faux savants et l’enthousiasme des perroquets sous stéroïdes. Car la pensée assistée, comme la respiration artificielle, ne produit que des corps en sursis. Alors, qu’ils continuent à cliquer, générer, paraphraser, car rien ne sortira d’eux que du vide enrobé de vernis numérique. Le futur sera peut-être numérique, mais alors, s’il ne sera plus humain, et par conséquent, il ne vaudra pas la peine d’être pensé. Et pendant que l’humanité se déleste de son esprit au profit d’une interface, pendant qu’elle apprend à confondre assistance et asservissement, un monde se meurt. Pas un monde technologique, mais un monde d’idées. On ne créera jamais rien de vivant avec des machines conçues pour éviter la vie. Et cela, personne ne le construira avec un prompt.

Pendant ce temps, les quelques irréductibles qui tiennent encore debout, certes bancals parfois, vacillants souvent, continueront pourtant de marcher, de courir, de tomber même, mais toujours d’avancer par eux-mêmes. Car c’est là, dans l’effort, l’erreur, la sueur intellectuelle, que réside la vraie noblesse de l’humain dans sa capacité à penser par lui-même, à créer sans tuteur, à dire ce que nul algorithme n’osera jamais formuler. À ceux-là revient la mission la plus belle, la plus exigeante aussi de perpétuer ce miracle fragile qu’est la pensée humaine, libre, dérangeante, en un mot : vivante !

Phil BROQ.

Blog de l'éveillé




Commentaires

  1. Mon Cher Phil, ce texte est une merveille absolue !! Merci mille fois !! En attendant l'effondrement.............

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  2. Ouvre Lesyeux25/08/2025 13:50

    Bon, ça, c'est dit et posé !
    J'adore :-)

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  3. D'un côté l'humilité du doute, faisant corps, faisant âme, les abysses de l'intime et du soi, les tréfonds taiseux d'une incessante auscultation, l'accès inexploré au précaire, au mouvant, au solide, au lumineux, à l'inouï, à l'inédit, à l'indicible, au rugueux, à la soie, au concret, à la perspective ... De l'autre la doxa dogmatique, programmatique, géométrique, le lissé numérique, l'escroquerie alléguée de la prétendue neutralité axiologique, l'arasement programmé de la gouvernance par les nombres, le pouvoir, tant autocratique qu'insidieux et subreptice, des intentions, l'arbitraire sentencieux de la programmation, la dictature de l'a priori et des postulats, la folie encasernée de la mise en boucle concaténée, la pétition de principe pour force de loi, l'ablation de toute contradiction pour profession de foi ... Les choses sont claires et désormais identifiées, il ne s'agit d'autre chose que de considérer, réduire et "gérer" les peuples comme des masses par le truchement grossier, tel qu'expérimenté en mondiovision lors de la dystopique crise du bacille, de l'abusif, et non moins prosaïque, argument d'autorité, fonctionnaliste s'il en est au-delà de l'humain , tel qu'attesté et cruellement vérifié maintes fois depuis l'honorable Stanley Milgram.
    Au-delà d'une certaine échelle les problèmes changent de nature, c'est bien connu et établi.
    L'IA, à cet égard, présente tous les avantages d'une solution de confort pour une population de confort, comme il peut exister des filles de confort.
    La question centrale reste pour autant celle de savoir QUI cette "innovation" va-t-elle conforter dans un monde dès lors déshumanisé ?
    Pour commencer de faire face à cette question fondamentale, mais d'ores et déjà éludée, il suffit de savoir lire le monde et les enseignements des humanités.
    Mais qui saura encore lire ?

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